Au Mali, dans la région de Ségou, confidences amère d’une survivante : «  Depuis mon viol, j’ai un dégoût envers les hommes »

Article : Au Mali, dans la région de Ségou, confidences amère d’une survivante : «  Depuis mon viol, j’ai un dégoût envers les hommes »
Crédit: Pexel
2 juillet 2023

Au Mali, dans la région de Ségou, confidences amère d’une survivante : «  Depuis mon viol, j’ai un dégoût envers les hommes »

Dans ce récit, une survivante d’agression sexuelle âgée de 17 ans, originaire d’un village de la région de Ségou, décide de se confier, trois ans après le drame. Aujourd’hui, elle se rappelle de l’agression comme si c’était hier et ne ressent que dégoût envers les hommes.

«Je suis K.K (nom d’emprunt), Bamanan issue d’une famille conservatrice de Ségou. A l’âge d’à peine 15 ans, juste une année après que j’aie commencé à voir mes menstrues, j’ai été violée par mon cousin, le fils de la sœur de ma mère, en complicité avec ses amis. C’était il y a trois ans, le 22 septembre.
J’étais de retour de la fête de l’indépendance du Mali que notre village fête chaque année. Ce jour-là, vers 22 heures, je quittais la place publique du village, lieu où se tenaient presque toutes les festivités de la cérémonie. Après des heures de danse au rythme des tam-tams et N’Bôlon, j’ai dû rentrer à la maison sous l’ordre de ma mère, qui ne dort jamais tant que je ne rentre pas. J’ai donc quitté à regrets mes camarades qui restaient encore sur place pour assister aux festivités.

En rentrant, je n’ai croisé personne, ce soir-là tout le monde assistait aux festivités.

En marchant sur le chemin de la maison, j’ai entendu un bruit derrière moi, je me suis retournée, mais il n’y avait personne. Inquiète, j’ai continué mon chemin en marchant rapidement. Il faisait nuit et la lune était claire ce soir-là. Soudain, mon cousin Bakary (nom d’emprunt) et ses deux amis ont surgi devant moi. Brusquement, sans qu’ils ne m’adressent la parole, ses amis m’ont pris comme un sac de mil. Et mon cousin nous a suivis sans piper mot. Ils m’ont emmenée de force dans une case abandonnée à côté. Je me suis défendue en les secouant mais ils étaient plus forts que moi. Je n’ai pas pu crier, car ils ont mis leurs mains sur ma bouche.

A ma grande surprise, ils m’ont déshabillée, malgré les tentatives pour me dégager et mes supplications.

L’un tenait mes deux bras et l’autre mes deux jambes. Mon cousin était entre mes cuisses. J’essayais d’hurler et je pleurnichais sans cesse. Mon cousin Bakary m’a mis du scotch sur la bouche. Il m’a violée pendant une demi-heure, sans penser qu’on est de la même famille. Ses deux amis me tenaient par terre et assistaient à la scène. Ils l’encourageaient : « Vas-y avant que les effets des médicaments ne finissent. »

Ce jour-là, j’ai perdu quelque chose de très important : ma virginité.

Selon la « tradition », la fille doit se préserver jusqu’au jour de son mariage. Elle ne doit pas avoir de rapport sexuel avant le mariage (la femme ne doit avoir de relations sexuelles qu’avec un seul homme : son mari). Perdre sa virginité avant le mariage est un déshonneur non seulement pour la jeune fille mais aussi pour sa famille. Si on sait que la jeune fille n’est pas vierge, son avenir est compromis : aucune famille ne la voudra comme belle-fille.

Après cet acte, mon cousin et ses amis m’ont abandonnée et sont partis. Malgré la douleur qui pesait sur mon corps, je me suis débrouillée tant bien que mal pour regagner la maison dans la nuit.

Ma mère était, comme toujours, assise sous le hangar pour m’attendre. Elle mis ses mains sur sa bouche en me voyant venir, je lui ai tout raconté. Mon père, lui, dormait.

Femme qui pleure, crédit Pablo via Iwaria

Le lendemain matin, la nouvelle s’est répandue dans le village comme une trainée de poudre. Les deux amis de mon cousin ont répandu le bruit qu’ils m’ont vue la nuit dernière avec un garçon du village voisin, en plein ébats dans une maison abandonnée. Ma mère, à qui j’avais tout raconté me croyait, nous avons porté plainte, des enquêtes ont été menées par les autorités locales sur mon cousin, afin de faire toute la lumière sur ce qui s’était passé. Cela a pris du temps. Aussi, les médecins du village refusaient de me consulter, il a donc fallu l’intervention des autorités locales. Finalement, il a été officielement établit que mon appareil génital avait été touché. Après la consultation, le personnel sanitaire a révélé que j’avais contracté une grossesse. Vous ne pouvez pas imaginer ce que j’ai ressenti en ce moment-là. J’étais à l’hôpital, je me suis évanouie.

Le problème c’est que j’étais déjà promise à un autre cousin qui vivait dans la capitale. A la suite des enquêtes, mon cousin du village a été accusé comme étant l’agresseur, l’auteur du viol que j’ai subit.

Mais tout comme moi, vous savez ce que sont les relations familiales…. au village les parents tiennent à leur fraternité, ils ne veulent pas de scission ni de scandale dans la famille. Le mot d’odre dans ces cas là : l’affaire ne doit surtout pas passer au tribunal devant un juge, il faut laver le linge sale en famille.

J’ai été envoyée en état de grossesse non désirée chez ma tante (la grand-sœur de mon père), qui habite à Bamako. L’objectif était qu’avec le temps, les villageois oublient. Sans penser à ce que je pouvais ressentir à ce moment-là, sans penser à ma douleur, sans prendre en compte ma détresse personnelle. Au Mali, le qu' »en dira-t-on » compte plus que la détresse des femmes agressées.

Neuf mois après, j’ai donné naissance à une petite fille, baptisée Mata (nom de ma défunte grand-mère paternelle). Aujourd’hui j’ai 20 ans et Mata a 2 ans. Elle ressemble à son père. Quand je la vois, je ne peux m’empêcher de penser au soir du viol. Mon cousin de la capitale, celui à qui j’étais promise, a renoncé à notre future union. Tandis que mon cousin du village, celui qui m’a violé, s’est marié, il a eu des enfants. Moi, la seule fois où j’ai eu des rapports sexuels, c’était le soir de mon agression, avec mon cousin Bakary. Je me souviens parfaitement du viol, c’est très douloureux d’y penser.

A l’heure où nous sommes, lorsqu’un un homme me dit un simple « bonjour », je ne souhaite pas répondre, les homme m’aparaissent comme monstrueux, je ressent du dégoût, je ne veux pas d’ intimité. Je me concentre sur mon travail. Je suis investie dans une ONG qui s’occupe de la prise en charge holistique des survivantes de violences. C’est un travail utile et important, il y a beaucoup à faire auprès des femmes au Mali. »

Ce billet a été réalisé dans le cadre du Projet « She Leads » de l’AJCAD-Mali.

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Commentaires

Mariam Cissé
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Une histoire très émouvante