Au Mali, la pratique du mariage précoce ne faiblit pas

Article : Au Mali, la pratique du mariage précoce ne faiblit pas
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20 décembre 2023

Au Mali, la pratique du mariage précoce ne faiblit pas

Au Mali, le mariage précoce touche principalement des jeunes filles données en mariage avant d’atteindre leur majorité. Cette pratique va à l’encontre de nombreux textes internationaux qui insistent sur le caractère consenti du mariage et établissent l’âge légal à 18 ans.

Selon le Fonds des Nations Unies pour la population, au Mali 55% des filles sont mariées avant l’âge de 18 ans, avec un taux alarmant de grossesses précoces et de mariages dès 15 ans. En 2009, l’Assemblée nationale a introduit un nouveau code des personnes et de la famille, initialement bien accueilli par les défenseurs des droits humains. Cependant, sous la pression d’organisations islamiques, une version révisée a été adoptée en 2011, permettant le mariage des filles dès 16 ans, voire 15 ans dans certaines circonstances. Cette loi reconnaît également la validité de mariages religieux, parfois impliquant des mineures et des unions non consenties.

Pour obtenir un aperçu plus concret de la réalité des mariages forcés, nous avons rencontré F.D., une survivante qui a échappé à une union précoce il y a trois ans.

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Le témoignage d’une survivante du mariage forcé

« Je suis F.D âgée de 15 ans. Je me suis  mariée à un homme sans mon consentement.  C’est mon père qui m’a donné en mariage à un homme plus âgé que moi. En ce temps, j’étais au second cycle, en classe de 9 ème année. Cela a été fait sans qu’il ne consulte ma mère ni moi-même. C’est à une semaine du mariage qu’il nous a informé ma mère et moi. En plus, c’était à l’approche de l’examen de Diplôme d’Etude Fondamentale, D.E.F. Vu la famille dont je suis issue, je savais qu’étant vivante rien et personne ne pouvait empêcher ce mariage. J’ai tenté de fuir à l’aide de certains de  mes camarades d’école 3 jours après cette annonce de mariage. Pour aller travailler dans la capitale mais notre plan n’a pas reçu. Le petit frère de mon père nous a surpris et à empêcher ma fuite. Je ne connaissais même pas mon mari.

 C’est le jour du mariage que l’ai vu pour la première fois. Lorsque qu’on m’a annoncé cette nouvelle de mariage qui sera plus tard la cause de l’abandon de mon école, cela m’a vraiment découragé. Moi qui étais la première de ma classe depuis le primaire, voire mes rêves s’envoler de la sorte, je ne pensais qu’à quitter ce monde. N’imaginez même pas notre nuit de noce. Une nuit terrible, remplie de désespoir et de souvenir noir.

L’impact du mariage sur ses projets d’avenir

Beaucoup d’impact négatif sur ma vie en tant que fille  et mineure. D’abord, mes parents ont bafoués ma jeunesse, n’ont pas pensé à mon avenir ni à me donner la chance d’avoir au moins 18 ans avant de me marier Et enfin, je n’ai pas pu réaliser mes rêves. Ceux de monter des grands projets pour aider les femmes et les enfants. Car, je rêvais d’être  une avocate de renommée pour défendre les droits humains, précisément ceux des femmes. Mais, cela ne sera pas réalisable. Après mon mariage forcé, mon mari m’a interdit l’école et je suis devenue un objet de maison. Deux avortements successive car, d’après le médecin mon corps n’étais pas assez mûr pour l’accouchement. Après ceux-ci, suite à une césarienne, j’ai pu donner naissance à une petite fille.

Sa reconstruction après le mariage

Me reconstruire, n’a pas été du tout facile. Mais, après plusieurs années, grâce aux conseils de ma grande-sœur qui est aussi victime d’un mariage précoce et forcé, j’essaie de parvenir à mes fins. Elle m’a conseillé de me lancer dans les affaires. Ma grande sœur voulait que je reste dans ce foyer par peur des parents et bien d’autres raisons familiale. Certes, je ne voulais pas. Elle a souhaité que je m’inspire des cas de ces femmes et de la façon dont elles ont pu surmonter ces actes de violations pour s’éloigner du mariage précoce et forcé. J’ai suivi ses conseils et à grâce à ses conseils, j’ai pu surmonter la vie dans ce foyer que je qualifie de ménage toxique.

Pour ne pas rester isoler toute ma vie avec ses cicatrices, je participe à des séances de sensibilisation de la communauté sur les risques liés au mariage précoce et forcé.

Des séances animées par un projet à San dénommé «  Tèkèrèni Ton». Un projet qui parle des conséquences du mariage précoce et forcé des filles. Il  sensibilise aussi la communauté sur l’abandon de cet acte qui nuit à l’avenir des filles. Au cours de ces séances, les survivantes reçoivent des conseils.

Un jour, lors de nos rencontres hebdomadaires, j’ai pu briser le silence et raconter ce qui m’est arrivé. Ce jour-là, je me suis sentie libérée d’un poids qui pesait sur ma conscience. Après cela, j’ai décidé de mettre un terme à mon mariage. Cela n’a pas été facile. J’ai dû affronter mes parents, leurs représailles et malédictions. J’ai été renvoyée de l’école. J’ai été chassé de la maison et je suis allée vivre dans un centre qui accueille et héberge les filles survivantes du mariage précoce et forcé en ville. ».

Méfaits sur la santé

Pour nous édifier sur les conséquences du mariage précoce et forcé sur la santé sexuelle et reproductive de la jeune fille, nous avons rapproché Souleymane Traoré, directeur technique du centre de santé communautaire de sébougou à Ségou.

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Ses conséquences sont nombreuses, selon Souleymane Traoré, elle peut avoir une douleur dans la région génitale ou pelvienne pendant ou après un rapport sexuel. Ajouta, qu’elle peut provoquer une rupture du périnée ou une rupture spontanée de l’utérus.

«  En cas de complication lors de l’accouchement, le sexe de la jeune fille peut être élargi jusqu’à l’anus. C’est ce qu’on appelle une fistule obstétricale. En absence d’un bon chirurgien pour réparer ce dégât, la fille subira ces conséquences toute sa vie », a-t-il souligné.

Le mariage précoce et forcé peut endommager la vie de la mère et la santé du nouveau-né. «  Après l’accouchement la mère et l’enfant peuvent être affectés. La mère peut craindre les relations sexuelles.  La croissance et le développement de l’enfant peuvent être retardés par rapport à d’autres enfants du même âge. », précise Souleymane Traoré.

Il a conclu en précisant que les complications de la grossesse et de l’accouchement sont l’un des facteurs du décès des filles de 15 à 19 ans.

Retenons que le mariage précoce et forcé est une pratique néfaste qui prive les filles de leur enfance et les exposent aux violences, aux viols, aux maladies sexuellement transmissibles, aux grossesses précoces et non désirées et le pire les avortements à risque. 

Au regard de ces conséquences néfastes sur la vie d’une jeune fille, les statistiques,  n’est-il pas temps de revoir certaines traditions et coutumes ?  N’est-il pas temps de penser à l’éducation de qualité et de maintien des filles à l’école ?

Des questions qu’il faut qu’on y réfléchisse.

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